Ce texte pourrait être illustré par la remarque faite un jour par un humoriste chrétien : faites attention quand vous demandez quelque chose à Dieu, vous pourriez bien être exaucé ! Comme cela a été le cas pour le jeune homme riche, il peut nous être demandé de nous impliquer à la mesure de nos attentes, et pour cela d’abandonner des « richesses » auxquelles nous tenons naturellement beaucoup, qu’elles soient d’ailleurs matérielles ou non…

 
Ce passage se situe tout de suite après celui où Jésus reprend ses disciples au sujet de la place des enfants, qui sont par nature fragiles et dépendants : « le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent » (Marc, 10, 13-15) ; ce qui suggère déjà un abandon à Dieu de nos acquis, de nos forces propres, une acceptation de notre « pauvreté » devant lui, comme l’indiquent également les passages suivants : «plusieurs des  premiers seront les derniers »(verset 31), « quiconque veut être le premier parmi vous, qu’il soit votre serviteur »(verset 43).
L’attente de ce jeune homme est visiblement sincère, et même ardente : il arrive en courant, toutes affaires cessantes,  très pressé d’obtenir de Jésus une réponse immédiate ; toutes proportions gardées (car l’enjeu n’est évidemment pas le même), son attitude peut faire penser à celle de certains médias, toujours à l’affût d’un scoop, qui interviewent des personnalités, espérant là aussi une réponse rapide !
Mais il s’agit ici d’une question qui pour lui est très importante, une question de fond qui montre toute l’attention qu’il porte à sa vie spirituelle : « que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? » et cette question, il la pose à genoux, montrant qu’il reconnaît la pleine autorité de Jésus en la matière, Jésus qu’il appelle d’ailleurs « maître ».
Dans un premier temps, tout semble bien se passer : Jésus rappelle les différents commandements, en ne citant d’ailleurs que ceux en rapport aux relations avec les autres ; et l’homme peut faire état « en toute bonne conscience » de sa rectitude morale : il a tout observé  depuis toujours, dit-il ; si c’est un examen spirituel, la première partie est acquise !
Il est vrai qu’en l’écoutant, on peut tout de même avoir un doute devant son affirmation : est-il vraiment possible humainement de n’avoir commis aucun péché depuis son enfance ? cet homme n’est-il pas vaniteux, ou au mieux inconscient de la réalité ? Mais la vraie question n’est-elle pas plutôt : a-t-il mesuré la part de légalisme qu’impliquait sa réponse ? car il connaît la loi, mais n’est pas dans l’intimité du Seigneur ; et ce légalisme apparaît au grand jour quand Jésus lui propose ensuite d’inscrire ces commandements dans son cœur, et non plus dans une pierre extérieure, de passer de la loi à l’amour en abandonnant ses richesses pour pouvoir le suivre.
Il y a donc, comme souvent, un décalage entre la demande humaine et la réponse de Dieu, qui va dans la réalité du demandeur, au-delà de la question et au cœur de la quête profonde, qu’il faut néanmoins assumer dans la foi : jusqu’où sommes nous prêts à aller ? Pourquoi faut-il tout laisser pour suivre Jésus ?
Dieu ne nous dépouille pas, il nous libère et nous promet cent fois plus que ce que nous avons donné, comme le montre le passage suivant dans Marc (« il n’est personne qui ayant quitté, à cause de moi…….ne reçoive au centuple… »), et, dans l’ancien testament, l’histoire de la veuve de Sarepta qui, bien que proche de la mort par la famine, donne tout ce qu’elle a pour nourrir d’abord Elie, et obtient ensuite pendant longtemps de quoi nourrir sa famille et Elie.
On lit la Parole à travers des filtres, des cadres de pensée qui nous sont transmis, par lesquels le Seigneur accepte de passer, au moins pendant un temps ; Jésus a voulu dans ce passage apporter au jeune homme riche une dynamique de vie en changeant ses filtres, mais celui-ci, tout en se situant encore dans l’ancienne alliance, n’avait pas encore atteint le niveau de détachement évoqué dans l’Ecclesiaste par la célèbre expression : « vanité des vanités, tout est vanité » ; il n’a pu recevoir le regard d’amour de Jésus, qui donne la force et la puissance que les biens ne peuvent donner, manquant peut-être une vocation de disciple ; il avait une grande attente, mais il ne s’attendait pas à une implication aussi grande ; il n’est donc pas entré dans la vie, mais dans une dynamique de mort, dans une tristesse culpabilisante, pensant que Jésus lui demandait quelque chose de beaucoup trop dur.
Tant il est vrai que cela paraît effectivement bien difficile, comme le souligne Jésus dans cette fameuse phrase si puissamment imagée : « il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu » provoquant ainsi la consternation de ses disciples ! (« et qui peut être sauvé ? » demandèrent-ils alors)
La suite de notre partage a d’ailleurs mis en évidence la diversité des « richesses » qu’il peut nous être demandé de lâcher, à nous aussi ! par exemple :
– l’habitude d’exercer des responsabilités, de contrôler un grand nombre de personnes, que le Seigneur peut nous demander d’abandonner pour nous consacrer à son service, comme il l’a fait pour une de nos amies du groupe, qui s’est retrouvée bénévole en soins palliatifs ; et là, pas question de projet pour l’autre..
– le goût du pouvoir, de l’autorité, de la notoriété ; le cumul des mandats, des bénévolats…
– un don (pour la musique, un sport par exemple…) qui devient une passion supplantant la vie familiale, spirituelle ; un pasteur a été amené à ne plus jouer de la guitare dans l’église car il le prenait trop à cœur !
– le temps : à la retraite, on ne choisit pas obligatoirement les bonnes priorités, on peut le gaspiller.
– et enfin, plus inattendue, la richesse spirituelle : des études théologiques poussées peuvent encombrer, on peut être amené à lâcher ses connaissances pour se laisser pénétrer par la Parole au lieu de théoriser.
Jésus renverse, bouscule les modèles, les perspectives, les appréciations ; si on est provoqué par ce qu’il nous dit, c’est que l’on a encore des filtres !

Alain Bourgade

Sur la base des notes prises par Gisèle McAfee

 

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