Que se passe t-il ? En à peine plus d’un an 4 films sur le christianisme, très différents certes : “Des hommes et des Dieux” (1) de Xavier Beauvois, “Qui a envie d’être aimé” (2) d’Anne Gaffieri » (dont, bonne nouvelle, le DVD vient de sortir), “Lourdes” (3) de Jessica Hausner et maintenant “Habemus papam” de Nanni Moretti. Ce dernier n’est pas le meilleur des quatre mais il vaut le détour et nous plonge dans une crise de leadership qui, bien que surgissant au sommet de l’église catholique, invite à une réflexion plus vaste.

La trame, inattendue, se déroule sur le mode de la farce : à peine élu le nouveau pape est saisi d’un sentiment d’incapacité. Il refuse d’apparaître sur le balcon de la place Saint Pierre à Rome, de s’adresser à la marée humaine qui, en bas, l’attend, lui et sa bonne parole. Il s’effondre, le visage dans les mains et demande de l’aide et du temps. Or, la règle du Conclave n’a pas prévu ce cas.

 

Cette réaction surprend d’autant plus que le pouvoir est perçu généralement comme une chose fort désirable. Déjà cependant, les premières séquences nous conduisent à en douter : la panne de courant qui plonge les cardinaux électeurs dans le noir et provoque la chute de l’un d’eux, les voix off des surprenantes prières silencieuses de la majorité des électeurs éligibles : « Seigneur pas moi » et les applaudissements joyeux et comme soulagés de tous quand le cardinal Melville est élu. Une petite parenthèse « théologique » s’impose ici. Le cardinal Melville n’ayant assurément pas prié pour devenir le énième souverain pontife, que semble suggérer au spectateur catholique Nanni Moretti ? Que Dieu a désigné celui qui de tous  souhaitait le moins cet honneur ? Que le cardinal Melville n’a malencontreusement pas songé à prier le Seigneur que cette charge lui soit épargnée ? Que le Très-Haut n’a pas trouvé le berger idoine parmi les cardinaux ? S’en trouve t-il même un ailleurs ?

Ainsi l’humour pointe t-il dès le début et, à partir de cette renversante et improbable situation, vont s’enchaîner des tentatives plus ou moins cocasses pour ramener ce pape nouvellement élu, admirablement interprété par Michel Piccoli, à la raison c’est-à-dire à accepter son éminente fonction. Pire encore : vont s’enchaîner ensuite d’habiles et discutables manœuvres pour cacher à la presse, à la foule massée sur la place Saint Pierre et aux cardinaux eux-mêmes que le nouveau Saint Père, ne se sentant pas prêt pour sa mission, a fugué.

Pour aider ce pape on fera appel à un psychanalyste, et même à deux : à un homme, Nanni Moretti bien sûr, puis à une femme. Dès le premier entretien de ces séances hors norme l’éventualité de la perte de foi est écartée. On n’est pas chez Bernanos. Le pape n’est nullement envahi par le doute, non, c’est juste que, bien qu’élu par ses pairs et malgré l’aide du Saint Esprit, il « préfèrerait ne pas » occuper ce poste, il ne se sent pas à la hauteur de la tâche. La psychanalyse pourrait-elle le remettre debout ? Mais debout pour aller où ? Il y a dans ce scénario un fil ténu qui semble dire que la société, que les peuples n’ont plus de guide et que, pour remplir le temps de leur vie, reste surtout les jeux du corps et de l’esprit : le sport et le théâtre.

Mais Nanni Moretti n’est pas dans le registre de la critique acerbe ou dans l’ironie. Il donne une belle humanité à tous ces personnages : aux théâtreux avec lesquels sympathise le pape fugueur, aux gens croisés dans la rue, aux deux psychanalystes pas si sûrs qu’ils le disent d’être les meilleurs, et surtout aux cardinaux de moins en moins raides dans leurs costumes d’un autre temps. Prisonniers du Vatican le temps que la crise se dénoue ces derniers laissent peu à peu percer leurs faiblesses, leurs hobbies, et accueillent avec candeur les conseils du psy, prisonnier comme eux de la politique du secret et en manque de client.

Disons, pour conclure, que « Habemus papam » est un film drôle et gentil sur la fragilité de nos institutions et, bien évidemment, aussi un appel au changement. C’est d’ailleurs ce que déclare, au final, du balcon où il s’avance enfin, ce pape invraisemblable.

Françoise Rontard
Habemus papam :
Sortie : 07 septembre 2011
Réalisateur : Nanni Moretti
Avec : Michel Piccoli , Nanni Moretti , Margherita Buy, Jerzy Stuhr
Durée : 1h44
Scénario : Nanni Moretti, Francesco Piccolo, Federica Pontremoli

 

VOIR SUR CE SITE

(1)  Des hommes et des Dieux  ** une présentation ** et ** le texte d’une conférence donnée par Henry Quinson, conseiller du film**

(2)  Qui a envie d’être aimé       ** une présentation **

(3)   Lourdes   ** une présentation **

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