Evangéliser-Recherches et innovations« Evangéliser. Approches œcuméniques et européennes » (1), c’est le titre d’un livre issu d’une journée d’étude à la Faculté de théologie protestante de l’université de Strasbourg, un ensemble de contributions publié sous la direction de Jérôme Cottin et Elisabeth Parmentier, professeurs de théologie pratique dans cette faculté.

Si le terme : évangélisation a pu, un moment, être contesté en réaction contre une image de pression culpabilisante et une attitude conquérante, l’annonce de l’Evangile, en terme de partage, apparaît comme une expression de la vie chrétienne. Mais comment pouvons-nous nous représenter aujourd’hui cette évangélisation ? Elisabeth Parmentier, consciente des risques d’instrumentalisation institutionnelle, nous paraît aller à l’essentiel : « Pour les chrétiens, s’il faut évangéliser, ce n’est pas d’abord dans le but de faire venir les contemporains dans les églises, même si ce sont là des espoirs omniprésents. Bien plutôt, l’évangélisation découle du besoin de témoigner d’un heureux évènement qui presse les croyants, non par devoir, mais par débordement : la plénitude du don qu’est l’Evangile est de nature à « déborder » les récipiendaires limités que sont les fidèles institués, et qui touche les espaces non conventionnés… Le cœur de la foi est de reconnaître qu’il n’y a pas quelque chose à « faire », mais un don divin à reconnaître, à accepter, à redonner : une bénédiction qui ne fructifie au mieux que donnée largement » (p 183).

Une ressource nouvelle et originale

Ce livre se réfère d’abord aux sources bibliques.

Il présente ensuite des tendances et des perspectives innovantes dans la pratique d’une « Eglise plurielle et universelle » :

° « La « nouvelle évangélisation » dans l’Eglise catholique » (Enzo Biemmi)

° « L’Eglise émergente en contexte anglophone » (Andy Buckler)

° « Le développement de l’Eglise en contexte germanique. Eléments de réflexion pour de nouvelles actions (Jérôme Cottin)

° « Une Eglise « missionnelle » plutôt que missionnaire » (Gabriel Monet).

Il appelle à une ouverture d’esprit : se décentrer, apprendre de l’autre :

° « Les Eglises issues de l’immigration : une évangélisation du protestantisme français ? » (Elisabeth Parmentier)

° « La Bonne Nouvelle se reçoit de ceux qui ne comptent pas » (Etienne Grieu).

Il s’y ajoute également des ressources : « Un état de la question » par Jérôme Cottin et une bibliographie.

Pour ce que nous pouvons supposer du degré d’information sur ces questions dans les milieux ecclésiaux, ce livre nous paraît proposer un apport original, car il nous introduit dans un mouvement innovant en cours de développement durant ces dernières années.

Des horizons nouveaux

Mais nous y percevons également un esprit d’ouverture dans lequel peuvent se reconnaître les chrétiens qui se veulent à l’écoute des réalités de notre temps et de l’œuvre de l’Esprit dans ces réalités.

C’est d’abord le choix d’une approche prenant en compte une double réalité, européenne et œcuménique. « Ces deux réalités sont incontournables en Europe occidentale où se multiplient les échanges, les mixités, les déplacements (au sens propre comme au sens figuré) à l’intérieur des confessions et entre les confessions chrétiennes. » (p 13).

C’est aussi une ouverture théologique comme l’expose Jérôme Cottin lorsqu’il mentionne : « de nombreuses initiatives non ordinaires, des réseaux, des expériences nouvelles, qui partent parfois d’initiatives très personnelles et qui font Eglise, et peut-être aussi sont l’Eglise. A la définition dogmatique de l’Eglise comme lieu où la parole est annoncée et les sacrements partagés, il faut ajouter celle, tout aussi biblique, où deux ou trois sont ensemble en mon nom » (p 12). « L’évangélisation est la transmission d’un don reçu, qui, par essence, transcende les enfermements dans les seules catégories identitaires ou doctrinales », ajoute Elisabeth Parmentier (p 183).

Enfin, ce livre met en évidence des courants innovants qui, pendant longtemps, étaient méconnus dans l’espace francophone en dehors de milieux ouverts à l’international comme Témoins.

Andy Buckler nous décrit ici un contexte britannique particulièrement innovant. Et la thèse de Gabriel Monet sur l’Eglise émergente (2) est reconnue comme une ressource majeure pour la réflexion des années à venir. La contribution de Jérôme Cottin sur le développement de l’Eglise en contexte germanique est bienvenue, car peu d’informations passaient jusqu’ici en français sur ce sujet.

On appréciera également le chapitre d’Enzo Biemmi sur « La « nouvelle évangélisation » dans l’Eglise catholique » qui vient éclairer un champ où des tendances opposées se sont affrontées au cours des dernières décennies. Nous rejoignons l’auteur dans une inspiration issue du Concile Vatican II qui retrouve aujourd’hui une écoute dans la parole du Pape François : « On comprend pourquoi François utilise si peu l’expression « nouvelle évangélisation ». Pour lui, l’évangélisation n’est pas avant tout un secteur de l’action de l’Eglise, mais le message transmis par la forme même de l’Eglise appelée à devenir transparence d’Evangile dans toutes ses dimensions. L’évangélisation explicite deviendra alors la modalité pour donner des mots à ce que chacun peut voir et expérimenter dans la vie des croyants et dans le style évangélique de l’institution ecclésiale » (p 72). Face à des approches que nous percevons comme la projection d’une polarité doctrinaire, qui existent par ailleurs aussi dans d’autres églises, Enzo Biemmi esquisse une annonce de l’Evangile qui prend en compte le mouvement de l’Esprit et le respect des consciences : Que l’Eglise « écoute la révélation de Dieu en cours, l’histoire du salut que l’Esprit Saint continue à écrire dans le cœur des hommes et des femmes d’aujourd’hui. En effet, le don de Dieu est en même temps derrière nous, parmi nous et devant nous, dans sa dimension pneumatologique et eschatologique. Cette attitude d’écoute du « cinquième évangile » que l’Esprit Saint ne cesse d’écrire dans le cœur des personnes, surtout celles qui sont blessées par la vie, aidera l’Eglise catholique à sortir d’une conception unidirectionnelle de l’évangélisation et l’aidera à entrer dans un mouvement d’évangélisation réciproque » (p 79).

Nous rapprochons cette perspective de celle qui prévaut dans la conception d’une Eglise missionnelle telle qu’elle nous est décrite par Gabriel Monet : « D’une Eglise solide à une Eglise liquide ; d’une Eglise centrée sur le salut individuel à une Eglise centrée sur la bénédiction de tous ; d’une Eglise dualiste à une Eglise messianique ; d’une Eglise uniforme à une Eglise plurielle… ». « L’Eglise missionnelle cherche à mettre au centre cette vision que  Dieu peut être «  à l’œuvre partout dans le monde sans distinction de lieux et de personnes… » (p 134). Gabriel Monet cite un théologien de l’Eglise émergente : Ray Anderson. « Anderson va tout à fait dans le sens d’associer à l’Eglise missionnelle cette invitation à imiter, voir à continuer l’œuvre du Christ. Il évoque la dynamique messianique de l’Eglise missionnelle et il s’appuie notamment sur la pensée de Jürgen Moltmann pour ce faire… L’Eglise participe à la mission du Christ et devient « l’Eglise messianique du Royaume qui vient » (p 135).

Des pistes d’approfondissement

En introduction, Jérôme Cottin s’interroge sur les contenus de ce livre : « Comment aborder un thème aussi vaste, sur lequel la réflexion universitaire francophone ne s’est pas encore vraiment penchée ?… » (p 13). Et il en exprime les limites : « Il est fini le temps où l’on pensait la théologie pratique de manière uniquement théorique. Elle reposait plus sur l’idée que l’on se faisait de la pratique, que sur la pratique elle-même (qui, on s’en doute, est multiple, variée et en constante évolution)… On laissera également pour une réflexion ultérieure la question de savoir s’il se dessine une évangélisation spécifique en contexte francophone… Pour aborder ce volet, il faudrait pouvoir disposer de témoignages et récits d’expériences, d’enquêtes (plus qualitatives que quantitatives) à propos de nouvelles formes de communautés et d’églises dans, à la périphérie et à côté des modèles traditionnels. Une réflexion allant dans ce sens est toutefois inaugurée dans l’article de Elisabeth Parmentier, sur les nouvelles communautés « issues de l’immigration » en France » (p 14).

Comme acteur dans la vie et la recherche de Témoins, nous partageons la même orientation. Et, de fait, nous avons travaillé et milité en ce sens pendant des années, depuis le début des années 1990. Nous avons collecté des compte-rendus d’expériences, des témoignages, mis en évidence les données issues d’enquêtes effectuées notamment en Grande-Bretagne. A partir d’un contexte chrétien interconfessionnel, nous avons pu entrer en dialogue avec des chrétiens porteurs de représentations et de pratiques très diverses. Nous rejoignons donc Jérôme Cottin dans la perception des limites de ce premier livre francophone portant sur l’évangélisation. En effet, cet ouvrage est loin de rendre compte de tout le vécu dont nous avons eu écho. Et plus généralement, nous souhaitons la réalisation d’enquêtes qualitatives en ce domaine.

Face au déficit actuel de la recherche en ce domaine, on peut avoir d’heureuses surprises, par exemple lorsque Jérôme Cottin, passant en revue la littérature allemande y constate l’absence de recherche sur les mentalités et cite en regard les travaux d’André Fossion sur les fausses représentations : « Comment se débarrasser d’images périmées, inadaptées, voire nocives de l’Eglise qui « bloquent » tout apprentissage possible d’images plus modernes, plus justes et plus fidèles à l’idéal évangélique » (p 119). Effectivement, la mise en évidence des représentations est essentielle. Comme l’écrit Philip Clayton dans son livre : « Transforming christian theology » (3), « Chaque personne a une vision du monde et de la vie (« world and life view »). Et si l’on admet que « la théologie, au sens large, exprime simplement ce que vous croyez au sujet de Dieu », alors « la forme que prend votre vision du monde et de la vie lorsque vous croyez en Dieu, c’est de la théologie » (p 19-22). Pour Philip Clayton, c’est à partir de là qu’une réflexion théologique peut s’approfondir. Cette approche s’inscrit dans une théologie de l’expérience (4).

Au cours de son histoire, Témoins a participé à l’annonce de l’Evangile à travers un témoignage en forme de partage d’une expérience et d’une conviction dans le dialogue et le respect. Ainsi ce livre nous concerne à la fois dans une réflexion sur notre vécu et dans la recherche plus large que nous avons menée au fil des années. Aujourd’hui, cet ouvrage nous apparaît comme un jalon important. Nous en percevons toute l’importance dans le contexte francophone. Cette étude construite et solidement fondée, fait le point et dresse un bilan. Mais, davantage encore, elle trace des pistes d’avenir et ouvre de nouveaux horizons.

Jean Hassenforder

(1) Cottin (Jérôme), Parmentier (Elisabeth) éd. Evangéliser. Approches œcuméniques et européennes. LIT Verlag, 201

(2) Monet (Gabriel). L’Eglise émergente. Etre et faire Eglise en post-chrétienté. LIT Verlag, 2014

(3) Clayton (Philip). Transforming christian theology for church and society. Fortress Press, 2010 Mise en perspective sur ce site : « En chaque chrétien, un théologien » :  https://www.temoins.com/en-chaque-chretien-un-theologien/

Une théologie de l’expérience : Moltmann (Jürgen). L’Esprit qui donne la vie, Cerf, 1999

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