Le paysage religieux change rapidement en France. Le milieu rural, autrefois sans doute le plus uniforme dans le domaine de croyances religieuses, selon le registre de chaque région, se diversifie aujourd’hui à vive allure. C’est le constat qui ressort de l’expérience de Michel Pinchon, prêtre dans une campagne française.
Dans cet article paru dans « Le Courrier de Jonas » (1), il nous dit comment il a vécu cette nouvelle réalité au cours d’un mois de juillet où la célébration des mariages et des baptêmes a été l’occasion de rencontres variées : « Chaque samedi de l’été, j’ai été amené à accueillir des hommes et des femmes d’Eglises et de religions différentes ». Michel Pinchon nous raconte  ces célébrations et comment il les a préparées et conduites dans le dialogue, dans un esprit d’amitié et de respect. A chaque fois, on perçoit le fil conducteur de l’Esprit dans la manière dont Michel Pinchon sait exprimer la foi chrétienne dans des situations très variées. Michel Pinchon s’inscrit dans l’esprit du Concile Vatican II : « Il ne s’agit pas de confusion, de syncrétisme, mais de mettre en œuvre concrète toutes les intentions du Concile ». Et, pour cela, à l’image de Jésus, il n’hésite pas à prendre des libertés par rapport aux réglementations institutionnelles.
Face aux transformations actuelles de la sociologie religieuse, on peut observer des approches différentes selon les milieux chrétiens. Sachons reconnaître dans celle-ci l’œuvre de l’Esprit Saint. Ce texte nous parle de réalités vécues. Il ouvre notre regard.

Jean Hassenforder

 DANS LA CHALEUR D’UN ÉTÉ…

Il est fréquent de penser qu’à la campagne, il ne se passe rien, que les petits villages continuent à vivre à la manière d’autrefois. Actuellement, dans le village où je vis, les nationalités représentées sont nombreuses et fréquentes les rencontres entre les religions. Ici vivent plusieurs Musulmans, deux Bouddhistes, un petit groupe de Protestants, peu de Chrétiens et beaucoup d’incroyants.

Je voudrai simplement raconter ici ce que j’ai vécu au cours du mois de juillet de l’an passé où la célébration des mariages et des baptêmes a été l’occasion de rencontres variées.. Chaque samedi de l’été j’ai été amené à accueillir des hommes et des femmes d’Eglises et de religions différentes.

5 juillet

Je dois célébrer le mariage d’une protestante avec un catholique. Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois pour nous connaître, pour réfléchir sur le mariage et préparer la célébration. Le marié, catholique pratiquant souhaitait que je célèbre la messe. Sa femme n’y voyait pas d’inconvénient, malgré mes réticences. Trois semaines avant le mariage me demande s’il peut me rencontrer. J’accueille un homme charmant qui voulait simplement me connaître. Je lui demande s’il ne connaissait pas un pasteur qui pourrait célébrer le mariage avec moi. Il n’en connaissait pas dans la région. Je lui dis avoir déjà célébré avec un pasteur et que je trouvais très bien venus la remise de la Bible aux mariés après l’échange des consentements. Faute de pasteur, je lui demande s’il ne pourrait pas faire lui-même ce geste. Il accepte très volontiers.

Le jour de la célébration, l’église est divisée en deux: les protestant à gauche, derrière la mariée et les catholiques à gauche. Après avoir remis la Bible à ses enfants, le père me demande, tout bas, s’il peut communier à la messe. Je luis réponds qu’il fasse ce qui lui semblait bon. Je ne sais comment il a fait passer le message à ses frères Calvinistes, mais toute l’assistance a participé à l’Eucharistie.Je ne suis pas certain de n’avoir pas transgressé une règle importante…Mais le soir, au dîner, l’oecuménisme avait sensiblement progressé.

12 juillet.

Le compagnon prêtre avec qui je travaille, malade, me demande de le remplacer pour un mariage. Je n’aime pas ce genre de situation qui ne me permet pas de connaître les mariés avant leur mariage. Je tente de les joindre pour qu’il viennent me rencontrer. Je crois qu’ils étaient, eux aussi, heureux de me connaître. Le lendemain le marié m’appelle et me demande s’il serait possible que la nourrice de leur petite fille puisse assister au mariage. Je lui dis que je l’accueillerai avec joie et que si elle le voulait, elle pourrait intervenir. A l’entrée de l’église, j’accueille, en même temps que les mariés, cette jeune femme, vêtue d’une très belle robe. Je lui demande si elle voulait parler. Elle me montre un papier et me dit qu’elle a préparé un mot. Le moment venu, je la présente et lui demande de venir me rejoindre pour prendre la parole elle monte dans le choeur, prend son papier et commence à lire… en arabe, un texte qui m’a semblé bien long. L’assistance et un peu déconcertée et inquiète. A la fin de la lecture, la jeune Algérienne se met à rire en disant: « Vous n’avez pas compris ce que je viens de lire…Eh bien, moi non plus car je ne connais pas l’arabe, mais à la mosquée il faut d’abord lire en arabe. Je vais maintenant vous donner la traduction. »Elle lit un très beau passage du Coran sur l’amour et spontanément l’assemblée l’applaudit.

C’est cette jeune femme qui a fait de ce mariage un événement. Le soir, au dîner, nous avons parlé longuement d’une fraternité toujours possible.

19 juillet: Un baptême.

Les enfants d’une famille amie me demande de baptiser leur fils. Je les invite à dîner pour préparer le baptême et, au cours du repas, la maman me dit qu’elle était Cambodgienne, ce que j’avais deviné à la beauté de son visage. Comme j’étais allé au Cambodge l’été précédent, nous avons pu parler de son pays. Elle l’avait quitté à 3 ans après avoir connu avec sa mère les camps de travail de Pol Pot . Elle me dit qu’elle s’était convertie à la foi chrétienne et qu’elle avait été baptisée deux ans auparavant.. “Une chose m’a étonnée quand je me suis préparé à mon baptême, c’est qu’on ne m’a jamais parlé de ma foi cambodgienne, qu’on ne m’ait pas demandé ce qui me faisait vivre avant de connaître l’Evangile. On m’a un peu harcelé avec tout ce que je devais savoir et faire. C’était comme si ma vie antérieure ne comptait plus, comme si je devais l’oublier. Je suis chrétienne, mais je n’ai jamais cessé de rester Bouddhiste. Je crois que les quatre piliers dont parle Bouddha: la maîtrise de soi,la compassion,la paix et la joie, s’harmonisent très bien avec les paroles du Christ.”

Je lui ai dit que c’était ce que j’avais ressenti en travaillant à Phnom Pen avec des étudiants cambodgiens. Eux aussi m’avaient parlé des quatre piliers et j’avais eu le sentiment qu’il y a une sorte de fond commun qu’il nous faut échanger pour arriver à se comprendre et à désirer vivre ensemble.Le jour du baptême Laola a expliqué tout cela à sa famille et à ses amis, puis elle a lu une lecture de son pays et chanté un cantique qu’elle chantait, toute petite, à la pagode.

4 août: encore un baptême.

Ce jour-là, il me fallait célébrer un baptême dans une famille dont une partie était Israélite. Les parents souhaitaient qu’une tante juive, très croyante et pratiquante, soit la marraine de l’enfant. J’ai demandé à connaître cette femme. Elle est venue me voir et nous avons fait le projet de faire de ce baptême une célébration interreligieuse.

La faille juive s’est présentée dès le début de la célébration et cette marraine a expliqué à tous qu’elle s’engageait, sans renier sa foi personnelle, à tout faire pour que son filleul soit fidèle à son baptême. Je les ai ensuite accueillis en leur disant que jean Paul II, en entrant dans la synagogue de Rome, avait déclaré:”Vous êtes nos frères aînés.” J’ai prolongé cette parole: “alors, si vous êtes nos frères aînés,vous êtes ici chez vous, nous sommes en famille.” Dans l’assemblée une femme se lève: “moi, je suis musulmane!” Je lui ai demandé de s’avancer en lui disant:”Avec vous la famille des enfants d’Abraham est assemblée nous pouvons commencer.”

Au moment de la profession de foi préparée par les parents, la marraine a demandé la parole et, en étendant les mains sur l’enfant, elle a prononcé une bénédiction comme il y en a tant dans la Bible. Des paroles qui ressemblaient à celles de Jacob bénissant ses enfants. Un silence chaleureux accueillit ces paroles pleine d’amour.

Puis, au moment où l’on prend la lumière au cierge pascal pour la donner au parrain et à la marraine, un choeur imprévu s’est constitué pour chanter une cantique de la fête des Lumières (Anouka) que raconte le Ch. 1 du 2 ème livre des Martyrs d’Israël.Le soir, la fête eut lieu chez le grand père. tard dans la nuit nous avons partagé, échangé sur ce qui nous est commun et rend possible une vraie fraternité.

Conclusions:

En célébrant ces rencontres dans la paix et dans la joie, il nous semblait que les religions n’étaient pas que sources de guerres comme on le dit souvent. Elles peuvent faire entrer les hommes en fraternité. Maintenant que la mondialisation est à nos portes, quelle religion peut prétendre à conquérir les autres? Le vrai chemin qui nous reste est la construction d’une entente en aidant les hommes à l’échange et au dialogue. Toutes les religions ont cet idéal en commun. Il est réconfortant de voir que, sur le terrain, il semble naturel de vivre cette amitié. On sent alors que celui que nous nommons Dieu dépasse toutes les religions, même celles qui se croient seules au monde.

On découvre dans ces rencontres qu’aucune des religions du monde ne peut prétendre posséder toute la vérité et encore moins l’imposer au monde. dans la joie de ces fêtes, on est tout étonné de découvrir qu’on est prêt à partager ce qui nous fait vivre.

Il ne s’agit pas de confusion, de syncrétisme, mais de mettre en oeuvre concrète toutes les intuitions du Concile: On lit au No 2 du schéma “Nostra aetate” : L’Eglise considère avec un respect sincère ces manières de vivre ou d’agir…qui apportent souvent un rayon de la vérité qui éclaire tous les hommes.” Voilà pour les relations entre les religions. Et entre les Eglises: “Unitatis redintegratio”No 3: “Les éléments et les biens peuvent exister en dehors des limites visibles de l’Eglise.” et dans le No 4:”Par le dialogue, tous acquièrent une connaissance plus véritable en même temps qu’un estime plus juste de l’enseignement et de la vie de chaque communion.

Beaucoup de ces textes sont restés lettres mortes? sur le terrain, dans des conditions bien modestes nous pouvons leur redonner vie, en accueillant fraternellement les fidèles des Eglises et des religions qui se côtoient journellement.

Je suis bien conscient de transgresser parfois les règlements de mon Eglise, mais je pense qu’un avenir nouveau ne pourra voir le jour si personne ne prend des libertés. Jésus n’hésitait jamais à préférer la liberté aux usages:”Pourquoi tes disciples prennent leur repas sans se laver les mains et transgressent la tradition des anciens?”

Au soir du baptême , avec la marraine et les autres membres juifs de la famille, nous avons pris notre repas le jour du sabbat.. C’était une transgression. Ce jour-là, nous avons transgressé ensemble!

J’espère n’être pas seul à vivre de telles situations. Il serait bon de partager d’autres expériences pour ouvrir le chemin.

Michel Pinchon

(1)    Ce texte est paru  dans « Le Courrier de Jonas », février 2009, p. 41-43. (Contact : Michel Pinchon, 27240 Gouville). Nous remercions l’auteur pour son bon accueil . Redisons ici toute notre considération pour le mouvement des groupes Jonas. Nous avons, à plusieurs reprises, signalé avec sympathie leur site : ** Voir le site www.groupes-jonas.com **   et nous vous rappelons de  ** Lire l’article Jonas revisité **

 

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