Avant-propos

En raison du manque de pertinence des pratiques d’églises, de nombreux chrétiens s’éloignent plus ou moins des institutions. Parallèlement, des personnes en quête spirituelle recherchent des lieux d’échange. Ces tendances sont observables dans beaucoup de pays occidentaux et appellent des recherches sur les trajectoires personnelles et les recompositions sociales. Il y a quelques années, un chercheur néo-zélandais, Alan Jamieson avait apporté un éclairage sur cette situation (A churchless faith. Faith journeys beyond the church. SPCK, 2002). Jusqu’ici, en regard de cette question, il n’y avait pas eu en France de recherche spécifique. Il faut donc se réjouir du travail de recherche original que Cécile Lerebours Entremont vient d’accomplir dans un champ longtemps délaissé et qui vient de se traduire, le 23 janvier 2008, par la soutenance d’une thèse à l’université Marc Bloch de Strasbourg. Cette thèse : « Apprendre la fraternité ? De l’intériorité à l’altérité, évolution de petits groupes d’adultes aux frontières de l’Eglise entre 1995 et 2005 ». nous apporte des connaissances précieuses sur le mouvement spirituel qui se développe en marge des institutions, et plus particulièrement de l’Eglise catholique. Cette mise en perspective est un apport majeur au moment où commence à se faire jour de nouvelles expressions de la foi chrétienne dans le courant de ce qu’on peut appeler une Eglise émergente. En attendant la publication de la thèse de Cécile Lerebours Entremont, le résumé qu’elle en a établi à l’intention de son jury nous permet déjà d’en situer la démarche et d’en mesurer l’apport. Cette recherche est de toute première importance.

Résumé de la Thèse présentée par Cécile LEREBOURS ENTREMONT à l’Université Marc Bloch de Strasbourg, le Mercredi 23 janvier 2008.

Apprendre la fraternité ? De l’intériorité à l’altérité, évolution de petits groupes d’adultes aux frontières de l’Eglise entre 1995 et 2005.

Cette thèse en théologie pratique présente une recherche sur de nouvelles modalités du croire, à partir d’itinéraires personnels de quête d’identité et de sens, et sur de nouveaux modes possibles de regroupement, d’accompagnement et de transmission. Cette recherche s’ancre sur une expérience d’observation durant une dizaine d’années auprès de plusieurs types de groupes restreints d’adultes « en recherche » distancés des structures conventionnelles de l’Eglise catholique, principalement en France. Si nous pensions la dimension d’altérité nécessaire à ces chercheurs de sens, nous pouvions encore nous demander si ces groupes, dans la mesure où ils s’appuyaient à la fois sur l’expérience fraternelle et sur l’Evangile avaient une dimension d’Eglise et participaient aux nouvelles formes de communalisation de la foi.

Au cours d’une première partie descriptive, nous avons exposé le récit de notre expérience sur le terrain et dessiné l’identité des différents groupes observés et esquissé différents profils de ces croyants distants. Ensuite, après en avoir expliqué la méthodologie, nous avons livré les résultats des interviews approfondis menés auprès d’une quinzaine de personnes à travers des grilles d’analyse de contenu qui préparent les thématiques retenues par la suite. Nous avons obtenu ainsi un certain reflet des représentations, croyances, et valeurs de ces chrétiens aux frontières. Ils souhaitent une spiritualité incarnée, libre et authentique pour partager avec d’autres des valeurs de paix. L’expérience de groupe leur est précieuse : elle permet une communication profonde et réciproque qui est apprentissage de l’amour. Leur récit de vie corrélé au récit de l’Evangile soutient leur maturation humaine et croyante et nourrit leur chemin de conversion à la suite du Christ. La mise en perspective de ces thématiques exprimées à la base nous ont permis d’élaborer notre problématique de recherche, nos hypothèses et nos questions : quelle formation envisager pour l’accompagnement de ces groupes ? Quel mode fédératif imaginer à ces groupes sous peine de les voir dériver ou disparaître ? Les réseaux, dont nous observons les débuts, seront-il une solution intéressante à retenir pour une Eglise plurielle ?

La deuxième partie théorique, assez dense, fournit des apports de nombreuses disciplines issues des sciences humaines et des sciences théologiques, tant le champ de réflexion est ouvert et peu exploré jusque là. Nous n’aurons la prétention que d’indiquer des pistes pour d’autres recherches à poursuivre. D’abord des éléments d’histoire et de géographie contemporaines ont permis de situer notre recherche dans un contexte démographique précis en France depuis trois décennies : celui d’une perte continue de la pratique catholique traditionnelle et d’une émergence concomitante de petites communautés de base. Cette crise du christianisme appelle des changements à opérer pour s’adapter à la mutation civilisationnelle en cours. Les sociologues et les anthropologues que nous avons retenus cernent les traits majeurs des comportements en post-modernité : le sujet humain et le lien social sont mis à mal par l’exacerbation de l’individualisme, de la technologie et de la consommation à l’ère de la mondialisation des échanges. Individualisation et diversification du croire en sont les deux conséquences visibles. L’effondrement des institutions, la perte des repères et des valeurs, le décalage culturel religieux, conduisent les personnes à une nécessaire quête d’identité, d’intériorité. Par rapport au risque de repli sur soi, les approches psycho-sociologiques autour de la relation, de la communication et de la vie des groupes, confirment l’importance de l’altérité et de la mutualité dans les échanges qui fondent une communauté fraternelle. Pour mener leur quête de sens nos groupes étudiés privilégient une lecture de l’Evangile articulée à leur expérience quotidienne, et vérifient le commandement du prochain à l’aune des relations inter-subjectives concrètement vécues. L’apport des théologiens de l’expérience et de la corrélation aide à définir les fondements d’une herméneutique de vie qui permette à nos contemporains de découvrir Dieu dans leur vie d’hommes et de femmes, et de pratiquer une lecture actualisée des Textes qui participe à la transformation du quotidien. Enfin, l’ecclésiologie de communion a été notre cadre de référence choisi pour examiner les critères requis afin de reconnaître les petits groupes observés comme des communautés fraternelles ou cellules d’Eglise à l’image des premières communautés chrétiennes.

La troisième partie, consacrée aux propositions praxéologiques, débute par une reprise des enjeux annoncés en fin de première partie : si les petits groupes de croyants distancés, associant leur expérience à l’Evangile, semblent bien, après la confrontation théorique, vivre ainsi une forme de mise en commun pour une démarche de réappropriation de la foi, par contre ces petites communautés sont apparues fragiles. L’Eglise actuelle ne semble pas encore en mesure de gérer et soutenir leur présence au sein de la diversité des pratiques croyantes. Une formation d’agents pastoraux pour accompagner ces groupes devrait à notre avis, permettre la parole de chacun, la communication au sein du groupe, et la relation entre les différents groupes de ce type. Plus encore, la pastorale adulte devrait reconnaître l’expérience des croyants comme lieu théologique et leur organisation en groupes affinitaires comme lieu d’engendrement ; et devrait accueillir leur créativité et leur capacité à créer des liens, en particulier au niveau des réseaux.
Nous avons pu proposer quelques outils praxéologiques, tels que les récits de vie, les lectures d’Evangile partagées, des sessions en pédagogie globale. Concernant notre sujet précis des communautés fraternelles, nous avons tenté d’apporter quelques critères de repérage, de régulation, de légitimité. Et, même s’ils en sont encore aux balbutiements, l’expérience des réseaux permet déjà de rassembler des petits groupes dispersés et peut augurer d’un ministère futur à l’accompagnement de telles petites fraternités spontanées.

Dans la conclusion, nous avons pu ouvrir quelques fenêtres vers la post-chrétienté et redire avec d’autres la nécessité de voir se lever des témoins qui sachent investir en même temps le cheminement personnel et l’engagement collectif. Nous avons souligné aussi l’interrogation écologique qui attend les générations futures et qui conduit à poursuivre les recherches théologiques en direction de toute l’humanité mais aussi de la planète.

Le deuxième tome, celui des Annexes, collecte différents types de documents émanant de différents groupes de croyants critiques aux frontières de l’Eglise et de plusieurs réseaux dans l’idée de participer pour eux et pour d’autres à une meilleure visibilité.

Cécile LEREBOURS ENTREMONT

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